Dans la nuit qui enveloppe le palais de justice, des avocats retournent au combat. Les couloirs sont vides, les cartons prêts à être emportés, les salles déjà fermées. Sur le plateau correctionnel qui écume sa dernière après-midi de labeur, quelques robes passent encore des appels ou rassurent des familles. A la 23ème chambre correctionnelle, chambre des comparutions immédiates, une peine tombe. Il n’a pas tout compris, alors l’avocat demande à l’interprète de lui expliquer, vite et efficace, la sortie prévisible, l’appel, que ça va aller, que c’est une peine équilibrée. L’escorte l’emmène déjà ; il veut dire quelque chose à la présidente mais c’est trop tard.
Certains avocats pénalistes tutoient, d’autre pas, les plus tactiles vont jusqu’à prendre leur client par l’épaule pour mieux lui parler à l’oreille, voire front contre front, pour aller chercher l’humain et le lien au plus près. D’autres préfèrent le vouvoiement et la distance, les mots mesurés et la tempérance.
Dehors les cigarettes s’enchaînent, de la cour couverte du plateau correctionnel aux marches monumentales de la Cour du mai, des grilles de P12 où transitent les déférés, au recoin caché des Assises, du tribunal des enfants, à cet endroit précis où l’on peut sentir des scellés à l’odeur suspecte, aux abords du 36. Ils sont là, tout l’après-midi durant jusqu’à tard le soir, à fumer ensemble, greffiers, huissiers audienciers, avocats qui attendent un délibéré, famille des prévenus qui ont pris leur journée, futurs ex-maris inhibés et mères célibataires inquiètes, ils fument comme des pères patientant devant la maternité, et si cela doit prendre plusieurs heures alors le paquet y passera. Ils devront maintenant sans doute ressortir sur le parvis, repasser sous le portique, donc ils ne sortiront pas, donc ils ne fumeront plus. Une victoire pour la santé publique.
Les murs ne s’élargissant pas, les bureaux se faisant étroits, il fallait là trouver plus grand et plus haut. Le tribunal est mort, vive le tribunal, les moyens sont insuffisants vive les algorithmes, les délais retaillés et la place du justiciable repensée.
Au Bastion, au revoir bureaux où s’affichent les posters des Affranchis et les dessins d’enfants des officiers, bonjour salles d’auditions blanc immaculé, aux sièges collés au sol, couloirs tout aussi albes, dessinant une armature de science-fiction, un futur imaginé par Kubrick. Le gardé à vue ne sortira plus de son bloc sécurisé, les avocats des salles d’audition inversement virginales aux casiers de leurs occupants.
Au loin, l’escalier S et ses salles d’attente remplies d’anciennes amours qui ne veulent surtout pas se parler, les tribunaux d’instance engoncés dans les mairies de quartier, les expulsions qui côtoyaient les mariages, au loin les pas perdus et les terrasses mêlant les touristes au baveux, au loin les comparants aussi perdus que les visiteurs et amateurs de classique.
D’après Jean-Michel Hayat, président du tribunal de grande instance de Paris, « le nouveau #tribunal est le symbole d'une justice qui adapte ses méthodes »
Puisqu’une page se tourne faisons en sorte de laisser les justiciables investir leur nouvelle aire, faisons en sorte de ne pas les laisser s’enfermer dans des cages et des algorithmes, entre les étages et les accélérations de rythme. Qu’ils saisissent en ligne, mais que ce ne soit pas une façon de mieux vider les accueils des commissariats, que le bâtiment aux allures de centre commercial n’incarne pas un justice qui se vend au mieux offrant et à 99 francs.
D’un arrondissement à un autre, c’est la justice du quotidien qui déménage. La justice de quartier qui se retrouve centralisée. La justice des majeurs sous tutelle et locataires en galère, des couples qui se séparent et des mineurs qui partent à la dérive, des petits délits de rue de ceux qui n’ont plus rien, de ceux qui ont trop bu ou de ceux qui voudraient faire taire leur voisin, la justice de monsieur et madame tout le monde.
Celle là même qui doit rester au plus près du justiciable alors qu’on l’envoie aux portes de Paris, celle là même qui veut nous laisser prendre le justiciable par le bras quand on voudrait le couper de nous par des micros et par des écrans, celle qui peut écouter des raisons auxquelles un formulaire sera indifférent, celle qui n’éloigne pas avocat, interprète et prévenu dans des bocaux distincts mais les laisse faire corps le temps d’une audience pour les nécessités de la défense.
« Tout vaut mieux que les hommes. Plutôt des cages que des gardes. Plutôt des portes que des paroles. Plutôt la sécurité que la vie réelle ».
Une justice avec ses qualités et ses défauts, une justice imparfaite et qui fume trop, qui laisse les prévenus se lever parfois et jurer bien souvent, qui laisse les petits expliquer pourquoi ils n’ont plus d’argent.
Un tribunal qui, en quittant les abords de la Seine pour ceux du périphérique, n’abandonne pas les considérations humaines en faveur du tout-numérique.